Des étiquettes pour mieux séduire

5 mai 2006

Par Jean-Claude Ribault

Article paru dans l’édition du Monde du 16 novembre 2006

Pour faire face à la concurrence, certains viticulteurs tentent d’ajouter l’originalité de l’étiquetage à la qualité de leur production.

Pris en tenaille entre la baisse de la consommation métropolitaine et l’inadéquation de son offre à l’export, le vignoble de moyenne gamme désespère. Les vignerons de trois importantes régions viticoles – le Beaujolais, le Bordelais et le Languedoc-Roussillon – sont menacés d’un avenir incertain, bientôt rejoints par ceux de plusieurs appellations du Sud-Est et du Sud-Ouest. Le choix de l’étiquette peut contribuer à faire la différence.

Aujourd’hui, près de 90 % des vins sont achetés au producteur à moins de 5 euros la bouteille. Ce prix de vente est la valeur limite qui permet au vigneron français de produire, en gagnant sa vie, un vin correct de qualité moyenne. Mais, affirme le rapporteur d’un groupement professionnel international, ‘les Italiens et les Espagnols font mieux et meilleur pour 4 euros par col et les vignerons d’outremer pour moins de 3 euros avec en prime un marketing et un packaging d’enfer’. Comme si le contenant et la manière de le vendre primaient sur le contenu. Un choc pour beaucoup, une révolution pour certains.

‘C’est dans les moments de crise qu’il faut être innovant’, commente Philippe Dunoyer de Segonzac, qui, depuis vingt ans, rêve de mettre sur le marché un bordeaux AOC simple, agréable à boire, bon marché, identifiable d’une année sur l’autre et ‘que l’on sera fier d’offrir à ses amis’. Pour ce faire, pas question de laisser au millésime, ni au terroir, le soin de dicter leur loi. On s’assure que les grappes sont cueillies à maturité et que le vinificateur respecte le cahier des charges.

C’est une démarche typique de vin de marque, habituelle en Champagne, plus rare dans le Bordelais, longtemps coincé entre l’illusion des châteaux et les certitudes du négoce, avec ses marques bien établies : Mouton-Cadet, Malesan, Ginestet, Dourthe, et autres Michel Lynch.

Pour un nouveau venu, comment exister face à ces groupes puissants, et surtout, comment fidéliser la clientèle ? Philippe Dunoyer de Segonzac a choisi de porter tout son effort sur l’étiquette en confiant à Dragon rouge, la première agence française de design, le soin de la concevoir. Une seule consigne : ‘Rechercher l’originalité en respectant les codes graphiques propres aux vins de Bordeaux’, c’est-à-dire garantir que le choix du nom de ce vin et son graphisme s’adresse à une catégorie sociale aussi imaginaire que réelle : si ce vin est une boisson d’exception, son habillage doit en porter témoignage.

Car en bonne logique marchande, l’originalité doit évincer la concurrence. Patrick Veyssière (Dragon rouge) entend par l’étiquette ‘créer de la différence parmi l’offre multiple des linéaires de la grande distribution’. Il vise ‘non seulement l’achat, mais le rachat’. L’étiquette en hauteur reste dans l’univers bordelais. La graphie du nom du négociant est bien lisible, en lettres noires rehaussées d’un filet d’or. Son nom – Dunoyer de Segonzac – s’inscrit en lieu et place de celui du château, sous de petites armoiries qui pourraient s’intituler : ‘de gueules au lion opposé à queues fourchues d’or’.

Mais ce qui frappe d’emblée dans cette étiquette, c’est le protomé de lion, de profil, gueule ouverte, ‘issant’ selon la terminologie de l’héraldique, discipline savante, dont un dicton affirme pourtant : ‘Qui n’a pas de blason porte un lion.’ A la verticale, tête vers le sol, cette moitié de lion, comme une ombre chinoise qui paraît envahir le champ, interpelle l’acheteur potentiel dans une relation quasi fétichiste. ‘Est-ce que je choisis l’étiquette, ou bien suis-je si fort désiré par celui qui l’a faite et/ou choisie que je cède à ce désir ?’ C’est la question que pose pertinemment l’historien Anthony Rowley (L’Etiquette du vin, Hachette, 2003. 49 euros) à propos du fétichisme de l’étiquette. Elle doit être le truchement, le fétiche par lequel s’exprime la séduction réciproque entre le vigneron et le consommateur.

Mouton-Rothschild, après une première tentative en 1924, confie chaque année depuis 1945 le soin d’illustrer le millésime à des artistes différents : Jean Cocteau (1947), Georges Braque (1954), Picasso (1973). La démarche de Mouton-Rothschild, qui entend par le biais d’une oeuvre d’art, millésimée elle aussi, accorder à l’amateur le plaisir individuel d’accéder à la distinction d’un vin unique, est de même nature symbolique que celle de Dragon rouge. Le consommateur dira si le graphiste a vu juste et si les prévisions de commercialisation du Dunoyer de Segonzac (8,50 euros la bouteille) – 100 000 cols d’ici deux ans – sont réalistes. L’habit ne fait pas le moine, mais parfois l’étiquette fait le vin. Pour le meilleur et pour le pire. Nicolas, qui entendait renouveler leur image, a confié à Jean-Pierre Desclozeaux (dessinateur au Monde) le soin d’apporter une note de gaieté et d’humour bon enfant aux étiquettes de ses vins de pays. Résultat positif, puisque Nicolas renouvelle l’opération avec le beaujolais nouveau 2006.

L’Union des caves coopératives de l’Ouest audois et du Razès (Uccoar), en revanche, fait valser les étiquettes sur les packs, les bricks ou les bouteilles de ‘1 litre hollandais’ au nom évocateur – Le Rouge, Le Bistrot – et n’hésite pas à créer pour Auchan une marque de distributeur au nom codé de Pierre Chanau, assemblage de merlot, cabernet sauvignon et grenache. Qui est Chanau ? C’est Auchan, en verlan !

Gardons notre coup de coeur pour le Marignan (AOC Savoie) de Jacques Guyon (74140 Sciez) qui a confié à l’artiste new-yorkais James Rizzi le soin de réaliser une étiquette ‘pop’ sensible et drôle en trois dimensions pour son vin de chasselas 2002. C’est déjà un ‘collector’ que s’arrachent les oenographiles (collectionneurs d’étiquettes).